LA POLITIQUE DE CIVILISATION [4]

Publié le par alain laurent-faucon



Il y a plusieurs approches possibles de la « civilisation » et de sa grammaire, pour reprendre la formule de l'historien Fernand Braudel, en sachant que toute définition, par sa logique même, est toujours fragmentaire [1]. Il y a, par ailleurs, deux manières d'aborder le concept de « politique de civilisation », en se référant au contexte, c'est-à-dire à ce qu'a voulu exprimer l'inventeur du concept
lui-même, le sociologue Edgar Morin, ou bien en détachant la phrase du « monde du texte » pour lui donner une pleine autonomie et un autre sens, une autre finalité, une autre raison d'être. Et là, je vous renvoie au SUJET-FRAGMENT, DICT ORACULAIRE.

Ce n'est pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière, qu'une formule bien sentie, « qui fait mouche » ou qui frappe l'imagination, connaît des aventures intellectuelles et des interprétations idéologiques qui n'ont plus grand-chose à voir avec son sens premier, originel. Ainsi en est-il du célèbre fragment d'Héraclite : « la nature aime à se cacher », dont la traduction, du grec au français, laisse déjà dans l'expectative, ce qu'a fort bien montré le philosophe Pierre Hadot dans un ouvrage remarquable, Le Voile d'Isis – Essai sur l'histoire de l'idée de Nature, Gallimard, Paris, 2004. La traduction qui est déjà une interprétation, ainsi que le commentaire peuvent frôler le contresens ou, du moins, modifier totalement le sens d'une phrase. « Nous dirons : écrire l'histoire de la pensée, c'est parfois écrire l'histoire d'une suite de contresens ». [2]

Si la « politique de civilisation » a suscité tant d'interrogations et, surtout, autant d'incompréhensions, c'est parce que les hommes politiques, droite et gauche confondues, semblent peu sensibles aux travaux des chercheurs et que rares, très rares, sont ceux qui ont lu les ouvrages d'Edgar Morin. A ce propos, il suffit de consulter la presse ou de naviguer sur Internet pour se constituer un affolant et déprimant bêtisier à partir de leurs réflexions, de leurs interprétations ou de leurs contestations concernant la « politique de civilisation » mise en scène par le président de la République - au point que l'on peut regretter le temps où la culture générale (qui n'est ni de la com', ni de l'esbroufe) était encore prisée par le personnel politique français. Faire « ses humanités », disait-on !

Il est peut-être utile - et nécessaire ! - de reproduire, ci-dessous, une brève biographie d'Edgar Morin parue dans le journal le Monde afin de couper court à certains malentendus. Le sociologue n'oublie pas ses origines juives, ses engagements dans la Résistance et ses appartenances idéologiques ; quant à sa « politique de civilisation », elle n'est pas une apologie de « la » civilisation, cette civilisation qui a conduit le XXe siècle à commettre tant d'horreurs au nom de la raison, du progrès, de la religion, de la morale, de l'identité nationale, de la pureté ethnique, de l'entre-soi, etc. 

Il est également important de reproduire les analyses d'Yvan Rioufol, le chroniqueur du Figaro. Là, effectivement, l'on s'aperçoit combien un concept peut donner lieu à des interprétations paradoxales, voire inquiétantes quand il est phagocyté par un idéologue. Et là, effectivement, les commentaires étonnés, étranges, insaisissables de certain(e)s d'entre vous peuvent se comprendre – même si les articles déjà mis en ligne sur la « politique de civilisation » - cf. dossier CIVILISATION - permettaient d'accéder à la pensée d'Edgar Morin, grâce à de nombreux passages tirés de son livre Pour une politique de civilisation (arléa, 2002), et permettaient surtout d'éviter de penser que sa politique de civilisation cachait, en réalité, une apologie de la civilisation occidentale ! 

Il est vrai que les élucubrations d'Yvan Rioufol, pour qui je n'ai, je l'avoue, aucune estime particulière (n'est pas Léon Bloy qui veut !) – mais qu'il faut absolument lire pour mieux cerner une pensée de droite très conservatrice, très « néo-con » en fait, car le propre de ce courant idéologique c'est de recycler les vieux discours en les faisant passer pour très modernes (la rupture ?!) -, les réflexions d'Yvan Rioufol montrent combien la « politique de civilisation » peut être ambiguë, dangereuse. Sous sa plume, elle n'est que fermeture, frilosité, refus de l'autre ; elle n'est que peur et haine de tout ce qui n'est pas soi.

Un exemple : « La déculturation et la défrancisation, portées par une école qui ne sait plus transmettre et une immigration qui veut garder ses codes, sont autrement plus démoralisantes pour la nation. »

Il faudrait que ce monsieur questionne les mots, tous les mots : c'est quoi, pour lui qui sait tout, la déculturation ? A-t-on affaire à une acculturation ou à une déculturation ? Et l'histoire d'un peuple n'est-il pas l'histoire toujours à refaire, toujours en train de se faire, d'une acculturation? Et quels sont les liens étroits, permanents, critiques entre ces deux phases : déculturation / acculturation ? Les grilles de lecture d'Edgar Morin, notamment sa notion de la « complexité », lui seraient peut-être d'un grand secours pour affiner sa pensée, la complexifier ! Et c'est quoi, au juste, la défrancisation ? L'argot des quartiers ? Ou : l'islam ? Quant aux codes, à ce qui constitue l'identité – laquelle est toujours plurielle [3] -, même Charles Maurras [4] a montré que pour être « bien dans sa peau » (l'expression est de moi !), il faut s'inscrire dans des identités successives, qui vont du singulier au particulier puis au général et à l'universel. Je vous invite donc à lire et relire tout ce qui a été dit sur L'IDENTITÉ NATIONALE  et sur HISTOIRE - MÉMOIRE.

Mais avant d'entreprendre cette revue de presse, je voudrais vous rappeler les pertinentes réflexions de ce grand historien que fut Fernand Braudel à propos du mot « civilisation » et de l'emploi des mots dans les sciences de l'homme et la philosophie. Je vous invite aussi à consulter sa Grammaire des Civilisations, et notamment toutes les pages consacrées à la définition du mot « civilisation ».



Les variations du vocabulaire



« Il serait agréable de définir le mot civilisation avec netteté et simplicité, si possible comme l'on définit une ligne droite, un triangle, un corps chimique ...

« Le vocabulaire des sciences de l'homme, hélas, n'autorise guère les définitions péremptoires. Sans que tout y soit incertain ou en devenir, la plupart des termes, loin d'être fixés une fois pour toutes, varient d'un auteur à l'autre et ne cessent d'évoluer sous nos yeux. « Les mots, nous dit Lévi-Strauss, sont des instruments que chacun de nous est libre d'appliquer à l'usage qu'il souhaite, à condition qu'il s'explique sur ses intentions. » C'est dire que, dans les secteurs des sciences de l'homme (comme dans celui de la philosophie), les mots les plus simples varient souvent et forcément de sens, suivant la pensée qui les anime et les utilise. » (in Grammaire des Civilisations, Arthaud-Flammarion, Paris, 1987, page 33).

 


Et si, finalement, comme semble le laisser supposer Dominique Dhombres, cette « politique de civilisation », subitement inventée par Nicolas Sarkozy, n'était qu'une habile diversion pour faire oublier l'essentiel : qu'il se voulait le « président du pouvoir d'achat » et qu'il n'est plus à même de tenir ses promesses ? Comme jadis Lionel Jospin, lui-aussi est obligé d'admettre son incapacité à maîtriser le monde de l'économie : "Qu'est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ? Ou que je donne des ordres à des entreprises à qui je n'ai pas à donner d'ordres ?" Du coup, sa vie sentimentale exhibée et sa « politique de civilisation » lui permettent de reprendre la main et d'imposer ses plans de communication aux médias.

Car la communication politique s'est transformée - sous l'impulsion de « story spinners » comme Karl Rove -, en une série d'histoires racontées et mises en scène, afin d'investir tout l'espace médiatique, et de construire, par la narration, une nouvelle réalité, sa propre réalité. Nous aurons l'occasion d'en reparler avec le prochain compte-rendu de l'ouvrage de Christian Salmon, Storytelling – La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (éd. La Découverte) et avec nos futurs articles sur la com' politique.

Alain Laurent-Faucon


NOTES ET REMARQUES :

en construction !


 





REVUE DE PRESSE



Edgar Morin, piraté par l'Elysée

LE MONDE | Article paru dans l'édition du 12.01.08.

Penseur de la « politique de civilisation », il a vu avec surprise Nicolas Sarkozy lui emprunter sa formule puis l'inviter à en parler

Lundi, Edgar Morin est parti tranquillement pour l'Elysée. Nicolas Sarkozy et sa "plume" Henri Guaino l'attendaient dans le bureau présidentiel. Quelques jours auparavant, le 31 décembre, le chef de l'Etat avait affirmé, dans ses voeux aux Français, sa volonté de mettre en oeuvre "une politique de civilisation". Et pour tout dire, l'auteur de ce concept, de gauche "depuis toujours", n'était pas certain que le président connaissait le contenu de la formule qu'il avait piratée.

Edgar Morin est un homme affable. Le président avait décidé d'être charmant. Guaino voulait montrer sa culture. On conversa donc pendant quarante minutes. A la fin, Morin résuma l'âme présidentielle : "Vous êtes sans doute sincère sur les trois quarts de vos discours, ce qui vous permet de ne plus l'être dans le dernier quart sans que l'on remette en cause une sincérité qui paraissait acquise..." Le lendemain, devant la presse, le chef de l'Etat synthétisa à sa façon : "Edgar Morin m'a dit qu'il était aux trois quarts en accord avec ce que je disais." Et commença la longue série d'appels des amis goguenards : "Alors, tu as rallié Sarkozy ?"

Finalement, Edgar Morin préfère en sourire. Il rejette farouchement plusieurs aspects de la politique de Nicolas Sarkozy, et surtout le sort réservé aux immigrés, mais après tout, son livre, Pour une politique de civilisation, coécrit avec Sami Naïr en 1997, avait été publié dans une relative indifférence. "Dans quinze jours, il sera réédité, se félicite-t-il. Alors si Sarkozy a servi à ce que des gens réfléchissent à une nouvelle politique, enfin attachée au mieux-être et non plus seulement à la consommation, c'est toujours ça." Tout de même, lorsqu'on lui a proposé de faire un livre d'entretien avec le président, il a ri : "Franchement, à mon âge (87 ans), c'est prématuré..." Mais lui qui a opté depuis longtemps pour les Verts, et surtout Daniel Cohn-Bendit, s'enchante d'avoir vu Ségolène Royal brandir son livre, le 3 janvier au matin sur France 2. Et conserve sur son portable l'invitation à dîner, lundi 14, que la candidate socialiste à la présidentielle y a laissée. "Jusque-là, regrette-t-il, les socialistes ne m'ont jamais utilisé..."

A l'étranger, c'est tout le contraire. La carte d'adhérent du Parti démocrate italien (né de la refondation du Parti communiste) a longtemps comporté une phrase de Morin : "Renoncer au meilleur des mondes, n'est pas renoncer à un monde meilleur." Le président du conseil, le socialiste Romano Prodi, intéressé par sa volonté de lutter contre la parcellisation des savoirs, l'a consulté avant de lancer sa réforme de l'éducation. En Espagne, le premier ministre socialiste, José Luis Zapatero, a voulu lui donner la nationalité espagnole. Au Mexique, une université porte son nom. Dans toute l'Amérique latine, on cite avec enthousiasme sa théorie de la complexité, qu'en France on juge parfois fumeuse sans l'avoir lue. Il en a parfois conçu le sentiment trompeur qu'il n'était pas reconnu et excuse lui-même cette exagération d'un mot : "Je suis un orphelin..."

Car Morin n'est pas seulement un intellectuel. C'est une histoire. Et, en adepte de la sociologie, de la psychanalyse, de la littérature et de l'interaction entre les disciplines, il la raconte sans omettre aucun des déterminants du destin. Enfant unique de Vidal et Luna Nahoum, juifs séfarades originaires de Salonique émigrés à Ménilmontant, il adore sa mère. Son père est bonnetier dans le quartier des marchands du Sentier et espère bien voir son fils lui succéder. Mais la tragédie va installer durablement le malaise entre eux. Le 28 juin 1931, Luna meurt d'une crise cardiaque alors qu'Edgar n'a pas encore fêté ses 10 ans. L'enfant est envoyé chez sa tante, à trois pas du Père-Lachaise où on l'assure que sa mère est partie en voyage. Trois jours plus tard, dans un petit square qui jouxte le cimetière, il aperçoit Vidal, entièrement vêtu de noir. "J'ai tout de suite compris, bien sûr. Je lui en ai voulu toute ma vie de m'avoir empêché de lui dire adieu."

Blessé, surprotégé par son père, il va d'abord chercher à échapper au destin qui lui a été programmé. La guerre sera sa "libération". Vidal a été mobilisé. Il peut donc décider de sa vie. Il entre au Parti communiste et dans la Résistance. Le même réseau que François Mitterrand, Marguerite Duras, Robert Antelme et Dionys Mascolo, dont il deviendra l'ami. Son premier pseudonyme, Edmond, est en passe d'être découvert ? Il va en changer. Le jeune homme a aimé L'espoir, d'André Malraux, et l'un de ses personnages, Manin. Ce sera son nouveau nom de résistant. Mais à Toulouse, où doit se tenir une réunion du réseau, la camarade qui l'accueille a mal compris et le présente à tous : "Voilà Morin". Morin et Nahum deviendront, à la Libération, ses deux noms, séparés par un tiret : "Comme cela, je suis le fils de mon père, mais aussi le fils de mon oeuvre."

Est-il encore communiste dans ces temps où le monde va se partager en deux blocs ? En fait, il doute depuis longtemps. Dès 1948, il ne renouvelle pas sa carte, mais parce qu'il a trouvé dans le PCF une famille, il laisse croire à la cellule de son quartier qu'il milite à celle de son bureau, et réciproquement. Bientôt, en 1951, une militante communiste du genre procureur, Annie Besse, qui deviendra plus tard Annie Kriegel, l'interroge brutalement : "Pourquoi as-tu écrit dans le journal de (l'intellectuel socialiste) Claude Bourdet alors qu'il est un agent de l'Intelligence Service !" En quelques jours, le voilà réellement exclu du Parti. Le soir même, il sanglote sur cette rupture, mais pour s'en féliciter dès le lendemain : il a retrouvé sa liberté de penser.

Il est marxiste, pourtant. Mais ce qui lui plaît peut-être dans Marx, c'est qu'il ait été à la fois économiste, historien, philosophe : bref, qu'il ait cultivé l'interdisciplinarité. Dans ces années 1970 qui voient l'explosion des sciences humaines, il est à la fois seul dans son genre et déjà admiré. Au tout début des années 1980, le voilà à l'université de Stanford (Californie) au milieu d'une petite bande d'adeptes de la pensée systémique, parmi lesquels Michel Serres, Henri Atlan, René Girard, Jean-Pierre Dupuy. "Ils ont été les premiers à prendre la mesure de l'exténuation des idéologies", constate Jean-Claude Guillebaud qui, à l'époque, suit leurs travaux comme directeur littéraire au Seuil. Ce sont des travailleurs, des penseurs originaux. Des sensuels aussi, qui aiment le plaisir, les femmes, le vin. Morin a belle allure, du succès, des amours.

Il a gardé ses goûts et ses fidélités. Dans son bureau envahi par les livres, il affiche aujourd'hui le sourire radieux de ceux qui aiment la vie, appelle sa femme Edwige "Bichette", et veille à ce qu'elle ne prenne pas froid. Et lorsqu'on s'amuse de le voir tant couver cette charmante petite femme aux yeux clairs, il rit : "C'est ma troisième épouse. L'amour est un privilège de l'âge..."

Raphaëlle Bacqué



La civilisation, idée moderne 

LE FIGARO - 11/01/2008

Le bloc-notes d'Ivan Rioufol du 11 janvier.

Donc, Nicolas Sarkozy est amoureux. Mais les Français restent moroses. Les jeunes sont même singulièrement pessimistes, à en croire la Fondation pour l'innovation politique dont une enquête dévoile leur peu d'ambition. Alors que 2008 célébrera le 40e anniversaire de Mai 1968, les 16-29 ans seraient « hyperconformistes ». La révolution des idées ne viendra ni de ces résignés ni de la gauche comptable de son abrutissant jeunisme. La modernité s'est installée à droite, y compris dans les transparences sentimentales élyséennes.

L'opposition n'a toujours pas mesuré la faillite d'un modèle social déresponsabilisant ni la crise existentielle qui mine la société. Ces inquiétudes ne se réduisent pas au seul pouvoir d'achat. Il y a un an, je notais ici : « 2007 peut être une chance pour la France ankylosée d'entrer dans le XXIe  siècle : celui de la mondialisation et du libre-échange, mais aussi celui des civilisations et des identités ». Ces aspirations des gens sont devenues, depuis, les grands axes du discours présidentiel.

La « politique de civilisation » que vient de lancer Sarkozy n'est « fumeuse » que pour la gauche post-marxiste, qui voit encore confusément la culture comme l'instrument de domination de la bourgeoisie. Observer le PS s'accrocher aux 35 heures montre son manque de discernement. Les maigres retraites ne suffisent pas non plus à expliquer la déprime. La déculturation et la défrancisation, portées par une école qui ne sait plus transmettre et une immigration qui veut garder ses codes, sont autrement plus démoralisantes pour la nation.

La France souffre de ne plus savoir qui elle est, d'où elle vient, où elle va. Quand des rapports révèlent que le primaire n'enseigne plus convenablement la langue, l'histoire, l'écriture, se dévoile une indifférence pour la cohésion nationale. Quand la violence extrême devient un mode de revendication usuel, se profile l'ensauvagement. Rien d'anecdotiques dans ces constats, contrairement à ceux qui assurent que la résorption du chômage effacera ces maux.

Pour avoir su identifier les attentes liées à la préservation de l'identité nationale et de la culture occidentale, Sarkozy répond à une amnésie collective sur le passé commun. Elle a sa part dans le fatalisme des jeunes. Mais entendre François Hollande demander, goguenard : « La civilisation, ça rapporte combien en euros "? » rend la gauche désespérante. Est-ce ainsi qu'elle gagnera les municipales en mars ?

Les racines de la France

Plutôt que de critiquer la présence du travailliste Tony Blair, demain, au conseil national de l'UMP au côté de Nicolas Sarkozy, le PS devrait s'alarmer du vide qui l'habite. À remarquer : la récente conversion au catholicisme de l'ancien premier ministre britannique a été suivie, le 20 décembre en la basilique Saint-Jean-de-Latran (Rome), d'un discours semblablement inspiré du président français : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes […] Comme Benoît XVI, je considère qu'une nation qui ignore l'héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture […] ». Oui, que cela plaise ou non, la civilisation française a un passé chrétien.

Or, ce rappel a eu son flot d'indignations de la part de ceux qui n'avaient rien trouvé à redire à la déclaration de Jacques Chirac, en octobre 2003 : « Les racines de l'Europe sont autant musulmanes que chrétiennes ». Cette énormité, destinée à satisfaire des groupes de pression exigeant de « revisiter l'histoire ensemble », avait été avalisée par la bien-pensance au nom du métissage des cultures. Aussi est-il troublant d'entendre Sarkozy vouloir inscrire « le respect de la diversité » dans le préambule de la Constitution.

Ce culte de la diversité, comprise par les minorités comme une invitation à conserver leurs particularismes, vient contredire la « politique de civilisation » appuyée sur l'héritage chrétien. Cette pensée unique s'oppose aussi à l'unité et l'indivisibilité de la nation. Le sociologue américain Robert Putnam souligne d'ailleurs la responsabilité de cette idéologie dans l'affaiblissement des sociétés, leur sinistrose et le recroquevillement des communautés (article de Christophe Caldwell, revue Commentaire). Le bon sens l'avait pressenti.

Si le président veut aller au bout de son raisonnement, il devrait plutôt faire rajouter, dans ce préambule de la Constitution, la référence aux racines judéo-chrétiennes et gréco-latines de la nation. Sur ce socle s'est bâtie la société des Lumières, sa laïcité, sa liberté d'expression. C'est le respect de cet universalisme qui devrait être imposé à ceux qui désirent rejoindre la France. La mémoire doit aider à construire la modernité. Réveil religieux

Au fait : pourquoi craindre un réveil religieux en France quand il concerne les chrétiens, alors que la piété musulmane y est, le plus souvent, encouragée ? Dans l'enquête internationale sur les jeunes, il est tentant de faire un lien entre l'optimisme de la jeunesse américaine et sa religiosité. S'ils sont 70 % à se dire tout à fait d'accord avec l'affirmation : « Je crois en Dieu », seuls 18% des jeunes Français répondent ainsi. Plutôt que de s'égarer dans des querelles politiques et de s'excuser d'être là, l'Église de France ferait mieux de s'intéresser à cette génération sans repères, qui ne sait plus toujours à quoi Noël correspond.

Relancer l'immigration ?

La commission Attali veut relancer l'immigration (Le Figaro d'hier). Elle y voit une source de croissance, sans s'interroger sur les liens intimes qui constituent une nation. Cette vision purement mercantile du libéralisme, qui rejoint la glaciale dialectique de la gauche, est le meilleur moyen de défaire une identité, une civilisation. Tout ce travail pour en arriver là ?




Politique de civilisation, ample terrine

 

Dominique Dhombres

 
LE MONDE | Article paru dans l'édition du 10.01.08.

 

L'événement était annoncé à grands coups de cymbales. Ce président-là ne fuirait pas comme un lièvre un exercice jugé difficile.

Il ne serait pas comme son prédécesseur, qui en avait horreur et pratiquait la chose avec parcimonie. On attendait donc beaucoup de cette première conférence de presse présidentielle, d'autant que l'Elysée avait encore fait monter les enchères en annonçant le nombre de journalistes accrédités. Ils étaient finalement 712. Vous n'avez pas pu manquer ce numéro de spectacle politique, retransmis en direct mardi 8 janvier par plusieurs chaînes et abondamment repris dans les journaux télévisés. Pour annoncer quoi, en définitive ? Qu'il n'y aurait plus, dans un avenir proche, de publicité sur les chaînes publiques et que les 35 heures étaient mortes, au moins dans l'esprit du président. Le pouvoir d'achat, c'était bon pour la campagne présidentielle. Place à la politique de civilisation, ample terrine pour laquelle le cuisinier n'a pas plaint les ingrédients : "La vie, le moral, l'autorité, l'identité, la culture, l'intégration, le civisme, l'amour, l'ouverture aux autres, l'humanisme, le respect de soi et des autres...". Et encore, on en a sûrement oublié. Qu'importe si l'auteur initial de la recette, Edgar Morin, n'y reconnaissait pas son plat. Et le pouvoir d'achat ? Naïfs que vous êtes ! "Qu'est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ? Ou que je donne des ordres à des entreprises à qui je n'ai pas à donner d'ordres ?" Debout derrière son pupitre, dans la salle des fêtes de l'Elysée, l'homme en noir faisait la leçon à l'auditoire, et à travers lui à la France entière. Il s'occupait de tout, d'architecture, d'urbanisme, des universités délabrées, des hôpitaux en déshérence et même du Darfour et du Liban, mais pas du pouvoir d'achat, qui n'était pas finalement de son ressort.

Les électeurs ont sûrement dû mal entendre, pendant la campagne. La Renaissance, les Lumières, l'école de Jules Ferry, voilà des sujets intéressants ! Et vous auriez l'audace de lui parler du SMIC ? C'est hors sujet, mauvais élèves que vous êtes ! Et qu'on ne vienne pas non plus lui parler de pouvoir personnel. "Est-ce que vous avez compté le nombre de "unes" que vous m'avez consacrées ? C'est vous Libération qui faites mon pouvoir personnel", rétorquait-il à Laurent Joffrin, directeur de ce quotidien. A-t-il commis des erreurs ? Oui ! De ne pas avoir suffisamment reconduit à la frontière d'étrangers en situation irrégulière. Va-t-il se marier avec Carla Bruni ? Et peut-être est-ce déjà fait ? Il montrait sa main gauche dépourvue d'alliance, mais précisait qu'avec la belle Italienne, c'était "du sérieux". A défaut de pouvoir d'achat, on aura donc Carla. Rassurant non ?

Dominique Dhombres




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