UN CONCOURS SE QUESTIONNE !

Publié le par alain laurent-faucon



Non seulement vous devez apprendre à questionner un sujet pour éviter les plans préfabriqués et les fiches stéréotypées, le degré zéro de toute pensée, mais vous devez questionner le concours que vous voulez préparer. Chaque secteur de la fonction publique a sa logique interne, ses propres modes de raisonnement et de fonctionnement, sa culture, ses traditions, son esprit de corps et ses codes sociaux - en un mot : son idéologie, mélange étonnant et détonant de formalisme et de corporatisme. Comme l'écrit Jean-Paul Payre, maître de conférence de Droit Public à la Faculté de droit de Grenoble :



« Un fonctionnaire appartient à son service avant d'appartenir à l'administration »

 

 

L'esprit d'un concours et les attentes des jurys peuvent donc différer et vous devez impérativement vous renseigner auprès des différentes écoles de la fonction publique, des professeurs, des élèves eux-mêmes. On n'attend pas systématiquement la même chose d'un futur magistrat, ou directeur d'hôpital, ou commissaire aux armées, ou commissaire de police, etc.

Par exemple, pour la magistrature, l'épreuve la plus redoutable est la note de synthèse et les attentes, pour cette matière, doivent être connues. Quant à l'épreuve de culture générale, elle relève du questionnement du sujet ; et il en va de même pour les concours de la santé publique, du commissariat aux armées, en un mot de tous les « grands » concours de la catégorie A. Mais il faut se renseigner et prendre connaissance de tous les sujets déjà donnés. C'est là un travail personnel qui est un questionnement concernant l'esprit et les attentes du concours préparé.

En effet, par delà les consignes générales qui sont communes aux concours de la fonction publique, chaque jury définit ses attentes spécifiques - et ces attentes-là vous devez les connaître. Personne ne vous attend, alors à vous d'entreprendre cette démarche essentielle, afin d'entrevoir ce non-dit qui ne se révèle qu'à celles et ceux qui osent poser des questions.

Par exemple, quand il existait à Lyon une prépa' interne aux HCL permettant d'intéger l'ENSP de Rennes, un certain nombre de consignes, formulées par le jury et son président, décrivaient ce que l'on attendait en culture générale. Et ce que l'on demandait était simple et en même temps redoutable : que les candidat(e)s pensent par eux-mêmes, loin de toutes fiches stéréotypées et de tout plan pré-formaté et passe-partout.

Vous devez absolument comprendre qu'un concours se prépare en sachant exactement ce qui vous est demandé – et ce questionnement-là vous avez tous et toutes tendance à l'oublier. Il faut se comporter comme dans le privé. Quand vous proposez votre candidature pour un poste à pourvoir dans une entreprise, la moindre des choses est de se renseigner sur sa stratégie, son organisation, sa culture, ses projets, etc. Et il vous faut également cerner le poste lui-même. Sinon, au premier entretien, si vous y parvenez, vous êtes mis sur la touche. Et cela se comprend. Alors, agissez de même quand vous préparez un concours. Au risque de radoter, je le répète et répète encore : personne ne vous attend ! Alors, prouvez, déjà par vos questionnements sur l'esprit et les attentes, que vous êtes capables d'intégrer telle ou telle grande école, tel ou tel secteur. Et travaillez ensuite en conséquence.

Il se peut qu'il y ait des concours pour lesquels le sujet de culture générale ne soit qu'un alibi pour tester vos connaissances. Auquel cas, il est inutile, voire dangereux de questionner le sujet. Mais attention : cerner bien quels sont ces concours - s'il en existe ! Et pour ce faire, récupérez les sujets déjà donnés et questionnez les. Par exemple, dans les annales du concours de commissaire aux armées, vous trouverez le sujet suivant : « Les manuscrits ne brûlent pas ». Et là, sans être particulièrement malin, vous comprendrez qu'il vous est demandé de questionner le sujet et qu'un plan pré-formaté, des fiches stéréotypées ne servent à rien. Impossible de faire monter ses connaissances ! Il faut prouver qu'on pense ! Ou, du moins, qu'on essaye – ce qui est déjà bien.

Comme le souligne Hans G. Gadamer, un grand philosophe qui a exploré le champ de l'herméneutique :



« Toute définition est une réponse à une question. Tout état du monde est aussi une réponse à une question vers laquelle il faut remonter pour comprendre la réponse elle-même. »



Partant de là, je dirai qu'un concours est une réponse à une question, celle que s'est posée le jury, et que cette question – vers laquelle il faut remonter pour comprendre la réponse elle-même - concerne l'esprit et les attentes de l'administration dont fait partie le jury, ou dont il est le porte-parole.

Posez-vous donc la question : qu'attend-on des candidat(e)s et vous aurez la réponse : le sujet de culture générale comme simple alibi pour tester les connaissances ou le sujet-fragment comme questionnement pour savoir si vous êtes capables de penser par vous-mêmes, sans béquilles, sans trop de formatage, sans trop de stéréotypes.

D'où la nécessité de questionner le concours que vous allez préparer ! Et ce questionnement-là vous permettra d'avoir une idée sur l'esprit et les attentes du jury ...


Remarque : Je sais qu'il est difficile de lutter contre ces profs qui disent qu'il ne faut pas questionner le sujet et qu'il suffit d'utiliser un plan type et des fiches stéréotypées sur toutes les questions qui sont « dans l'air du temps ». Il est d'autant plus difficile de lutter contre ce genre de profs, qu'ils flattent les étudiant(e)s dans le sens du poil. Qui n'a pas envie d'entendre dire que, pour réussir, il suffit de connaître tous les plans types et de se contenter du prêt-à-penser que l'on trouve dans les fiches concours ? Il suffit d'aller dans une librairie, d'acheter un livre où tout est pré-digéré, puis d'apprendre par coeur. Et cela fait de vous des besogneux du bulbe, mais après tout, n'est-ce pas justement la grande critique que l'on adresse aux fonctionnaires : des gens qui ne comprennent jamais rien, pétris de certitude, enkystés dans la routine, et dont « la fonction crée l'orgasme » - ainsi que se plaisait à le répéter l'un de mes grands profs à Sciences Po, Jean-Marie Auzias.

Le mot est lâché : « grand » prof, « vrai » prof ... C'est-à-dire ces profs qui essayent de remettre en branle le dernier et ultime neurone qui nous reste et qui fonctionne encore quand nous avons effectué le parcours scolaire traditionnel où « la mère des études » est le rabâchage jusqu'à l'overdose, le formatage et la domestication. Erasme l'a jadis fort bien montré, Norbert Elias aussi. Mais encore faut-il lire et les lire !

En culture gé, je l'ai déjà dit et redit, le grave danger c'est que ce n'est pas une discipline universitaire, du coup aucun pair n'est là pour contrôler quoi que ce soit, aucune thèse ne vient confirmer l'expertise, aucune interdisciplinarité n'est exigée pour justifier l'ouverture d'esprit et la capacité à penser par soi-même, du coup n'importe qui et tout le monde peut s'auto-proclamer LE spécialiste de la culture gé. Et c'est fou le nombre de gu-gus qui se disent experts !

Personnellement, je ne suis pas un expert, car j'ai – hélas, trois fois hélas – compris qu'une vie ne me suffira pas pour acquérir la culture qui me permettrait d'être lumineux sur tous les sujets qui sont « dans l'air du temps », et pour avoir enfin cette foisonnante ouverture intellectuelle qui me permettrait de devenir un grand, un vrai penseur. Alors, je reste à ma place, et j'essaye de faire comprendre aux « éveillé(e)s » (Héraclite) qu'il faut fuir tous les prêt-à-concommer de la pensée, pour oser questionner le sujet et penser par soi-même. Et c'est d'ailleurs aussi pour cela que j'aime cette matière, la culture gé, car elle m'oblige sans cesse à me remettre en question, à aller écouter l'enseignement de profs qui m'ouvrent l'esprit, le philosophe Pierre Gire par exemple. Jadis, j'ai eu la chance d'avoir deux « grands », deux « vrais » profs de culture gé à Sciences Po Lyon : les philosophes Jean-Marie Auzias et François Dagognet. Aujourd'hui encore, je les en remercie. 



Alain Laurent-Faucon



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