RUMEUR - LE DÉCÈS DE BOUTEFLIKA ?!

Publié le par alain laurent-faucon



Le silence, une stratégie de pouvoir comme le mensonge et l'amnésie ...


Étranges silences, rumeurs très proches des cercles du pouvoir et de l'armée, perturbations dans les protocoles habituels, autant d'ndices concordants qui laisseraient supposer que le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, serait décédé - depuis dimanche 26 août selon certains ? 

 

Lisez la presse, soyez attentifs aux informations des médias - la blogosphère, RFI, Courrier International - et vous comprendrez qu'il se passe quelque chose - ou qu'il s'est peut-être passé quelque chose. Ce silence, déjà, des autorités. Et cette absence du "devant de la scène" depuis plusieurs jours, durant ce mois d'août..

 

Bien sûr, je ne peux pas dévoiler mes sources et je peux également avoir été abusé par mes informateurs, mais – et là, ce sont mes vieux réflexes du temps où j'étais journaliste qui reviennent – je pense que mes informateurs sont dans le vrai. Ou pourraient être dans le vrai ! Et aussitôt remontent à la surface d'autres vieux réflexes du temps jadis : en suis-je vraiment certain ? Alors : faut vérifier, recouper les témoignages, car nous sommes dans le "on dit" ... et le risque de se faire manipuler est toujours grand ! 

 

J'écris cela, non pas pour le goût du "scoop" ou du "bidonage" mis à jour – cette perversion-là m'est passée depuis que j'ai quitté le monde de la presse – mais pour attirer votre attention sur les jeux et enjeux du pouvoir et pour vous faire comprendre qu'il arrive parfois, quand la succession peut provoquer de graves perturbations, que le silence devienne une stratégie de pouvoir. Ou un instrument de déstabilisation utilisé par les opposants qui avancent alors : ce silence est le signe que quelque chose de grave est arrivé.

 

En effet, pour celles et ceux qui s'intéressent au « monde arabe » et à la situation de l'Algérie contemporaine, la succession du Président Abdelaziz Bouteflika n'est pas une mince affaire. Il y a trop de problèmes non encore résolus, de tensions entre l'armée et certains courants politiques, sans parler de la question « berbère », pour que cette mort ne pose pas de réels et graves difficultés. Surtout que ce Président est globalement apprécié des Algériens, malgré les critiques qui lui sont adressées. J'utilise pour dire cela le présent, car, pour l'instant, le décès du Président algérien ne relève que de la rumeur, n'est qu'une hypothèse. Alors prudence !



Silences et trous de mémoire : la langue de bois

 

Toutes les histoires nationales, comme certaines commémorations et autres mémoires officielles, sont trouées d'oublis, de « silences assourdissants », de contre-vérités, de « mensonges d'État », d'amnésie programmée. Certains parlent, de nos jours, de « langue de bois » et de « pensée unique ».
 

La France, autant que l'Algérie et n'importe quel autre pays, n'est pas exempte de ce genre de pratiques, d'où, aujourd'hui, ces retours du refoulé à propos de l'esclavage et de la traite négrière, de la période coloniale et de la « plus grande France », de la collaboration avec l'occupant durant la Seconde Guerre mondiale, de la torture en Algérie, etc.

 

La liste est longue, très longue, trop longue ... tant ils sont nombreux les petits et grands silences, les petits et grands mensonges, les petits et grands oublis qui ponctuent notre vie politique, économique et sociale.

 

Songez simplement aux querelles de chiffres concernant le chômage en France, ou aux mensonges du gouvernement américain pour justifier la guerre en Irak ! Il n'y a pas que les régimes totalitaires qui trafiquent les preuves et les photos, comme au temps de Staline.

 

Mais, puisqu'il est question, ici, du Président Abdelaziz Bouteflika et de son « étrange mutisme », de son « étonnante absence », arrêtons-nous sur certains silences et oublis qui expliquent en partie les diverses tensions qui traversent la société algérienne.

 

C'est à l'historien Gilbert Meynier que nous ferons appel, en citant notamment deux passages de son « Avant-propos » à l'ouvrage qu'il consacre à l'Algérie des origines – De la préhistoire à l'avènement de l'islam (éditions La Découverte, Paris, 2007), ouvrage passionnant et dont je vous conseille la lecture.

 

Il y a d'ailleurs quelques ouvrages qu'il convient de consulter quand on veut un peu comprendre l'Algérie et son histoire, notamment ceux de : Ismaÿl Urbain, Tocqueville, Charles-André Julien, Benjalin Stora, Guy Pervillé, ou encore Daniel Rivet avec son travail sur Le Maghreb à l'épreuve de la colonisation.

 


Extraits de 
L'Algérie des origines

 

« Pour des raisons qui relèvent, non de l'Histoire, mais des préoccupations de pouvoir s'articulant sur l'idéologie, des termini a quo ont arbitrairement fixé tels événements censés décisivement donner le branle à l'évolution historique de l'Algérie. Le Front de libération nationale (FLN) et le pouvoir autoritaire à ancrage militaire qui en est issu et qui régit l'Algérie depuis des décennies ont fait du 1er novembre 1954 le moment zéro de la libération de l'Algérie du colonialisme, moment sans antécédents et sans mémoire. Jusqu'à la fin du XXe siècle, les manuels d'histoire algériens, conçus à partir de l'époque de Houari Boumediene, ne mentionnaient ni Messali Hadj, ni les militants centralistes du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), ni même nombre de chefs historiques du FLN de 1954 : il s'agissait ce faisant de disqualifier toute la préhistoire du nationalisme algérien – l'Étoile nord-africaine, puis le Parti populaire algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD) -, parce que cette séquence était trop dominée par la figure historique de Messali. [...]

 

« L'appareil qui s'empara alors du pouvoir eut aussi à coeur de figer les Algériens dans une identité identifiée sans discussion à ce qu'il disait être l'islam, et à la langue arabe : c'était là une vision dérivée des conceptions religieuses/culturalistes des 'ulamâ', reprise et instrumentalisée pour en faire un topos dominant de la langue de bois officielle. Étant entendu que l'arabe dont il était question était trop souvent un arabe obscurantisé, qui n'avait que peu à voir avec l'épanouissement des grands penseurs et des grands poètes de l'époque classique de la civilisation arabe, et pas davantage avec les intellectuels libres et hardis de la Nahda égyptienne, dont le regretté Naguib Mahfouz était un chaleureux descendant. [...] »


A propos de la "crise berbériste", l'historien Gilbert Meynier montre bien les ambiguïtés de la question kabyle liées en grande partie à la question coloniale en France : « C'est que, dans leur stratégie du "diviser pour régner", des idéologues coloniaux avaient construit un mythe kabyle qui alla jusqu'à assimiler narcissiquement les "Berbères", parés de toutes les vertus, aux Gaulois, pour les opposer aux "Arabes", auxquels étaient imputés tous les vices : se réclamer de la constante berbère, c'était donc emboucher les trompettes des colonialistes et faire leur jeu ; c'était trahir. »



La rumeur, ses raisons et ses enjeux

 

"On nous cache tout, on nous dit rien", chantait Jacques Dutronc, et il est vrai qu'aux origines de la rumeur se trouvent le manque de transparence, le refus de communiquer, la manipulation de l'information par les pouvoirs en place.


Mais, contrairement à ce que nous pensons parfois, une nouvelle véhiculée par la rumeur n'est pas toujours une fausse information, ce peut être une vérité que l'on veut taire - simplement elle sera déformée, dramatisée par ce medium particulier qu'est la rumeur. Comme l'écrit Jean-Noël Kapferer, « c'est parce qu'elle peut se révéler exacte que la rumeur gêne. » [ Kapferer, in Rumeurs. Le plus vieux média du monde ]


Plus loin encore : « Les rumeurs ne gênent pas parce qu'elles sont "fausses" : si tel était le cas, personne n'en tiendrait compte. Elles sont crues précisément parce qu'il leur arrive souvent d'être "vraies" comme dans le cas des fuites et des secrets politiques éventés. Les rumeurs gênent parce qu'elles sont une information que le pouvoir ne contrôle pas. Face à la version officielle, il naît d'autres vérités : à chacun sa vérité. »

« Dans L’Énéide, Virgile parle de la rumeur, messagère de l’erreur et de la vérité, comme du plus rapide de tous les fléaux, qui va, répandant la terreur, et se fortifie en se diffusant », note, de son côté, André Akoun dans l'article qu'il consacre à ce medium dans l'Encyclopædia Universalis.

Ainsi, poursuit l'auteur, « l’accent est-il mis par le poète sur les trois traits principaux du phénomène, que la psychosociologie retrouvera et étudiera scientifiquement :

 

- 1°) « la rumeur, phénomène de propagation d’une nouvelle, n’a pas de rapport avec la question de la vérité et de l’erreur (car elle est, indifféremment, messagère de l’une ou de l’autre) ; elle répond à autre chose que le besoin de connaissance, autre chose qui est à chercher du côté de l’inconscient collectif ;

- 2°) « la rumeur a un effet « terroriste » ; elle s’impose par le fait même de sa diffusion et soumet l’« âme collective » à son diktat ;

- 3°) « la rumeur, dans sa diffusion, subit un type de déformation qui accroît son impact, car la rumeur se nourrit d’elle-même. »

 

En guise d'épilogue ...

 
 

La Tribune – The Associated Press - 28/08/07

 

La télévision algérienne montre des images du président Bouteflika

La télévision algérienne a montré mardi, dans son journal de l'après-midi, des images du président Abdelaziz Bouteflika se recueillant sur le cercueil du général Smain Lamari, directeur de la sécurité intérieur algérienne, décédé dans la nuit de lundi à mardi.

Dans la même édition, le président Bouteflika est montré à la présidence de la République, recevant l'ambassadeur britannique Andrew David venu lui remettre ses lettres de créance.

C'est la première apparition officielle du président Bouteflika depuis le 6 août, date à laquelle il avait reçu le président iranien Mahmoud Ahmadinejad.

Sa disparition depuis cette date avait relancé les rumeurs ces derniers jours dans les milieux politiques et médiatiques sur la dégradation de son état de santé, qui aurait nécessité son transfert en Suisse pour des soins intensifs.

"Le président de la république se porte bien, il n'est pas malade", a déclaré de son côté le chef du gouvernement Abdelaziz Belkhadem lors de sa conférence de presse de rentrée.

Dans la matinée, le secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens, Abdelmadjid Sidi Said, s'exprimant devant des syndicalistes d'Alger leur avait recommandé de "ne pas prêter attention aux rumeurs sur la santé du président". "Je vous rassure, il se porte bien et reprendra normalement ses activités", avait-il déclaré.

Le président Bouteflika a subi en 2005 une intervention chirurgicale à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris, après avoir été transféré vers la France en urgence à cause d'un "ulcère hémorragique". AP


... et de conclusion sur l'annonce de l'éventuel décès du Président


L'annonce qui m'a été faite du décès du Président Abdelaziz Bouteflika par des informateurs « bien placés » relève d'abord du phénomène de la rumeur par le canal emprunté, celui du bouche-à-oreille. Elle relève ensuite du phénomène de la rumeur dans la mesure où les conditions essentielles pour qu'un tel phénomène surgisse sont remplies : l'exercice du pouvoir en Algérie n'est pas exactement un modèle de transparence, le Président est gravement malade – ce que tout le monde sait -, depuis quelque temps il est invisible, enfin « personne ne dit ce qui se passe ». On nous cache tout, disait Dutronc, le chanteur. Et c'est ainsi que tout commence ...
« j'ai un ami qui m'a dit que ... », et cet ami est souvent "bien placé", et le témoignage d'un ami est toujours important : à qui donc peut-on faire confiance, sinon à un ami ? Et la nouvelle se propage, se transforme et déforme, se dramatise. « De toute façon il n'y a pas de fumée sans feu ! » Avec une telle analogie perçue comme un adage, "on" a tout dit - ici, le "on" est essentiel, il renvoie à l'opinion publique, au sens commun. Même démentie par les faits, la nouvelle colportée cache une part de vérité : le fait, par exemple, que l'état de santé de nos dirigeants politiques est un secret bien gardé et qu'en la matière personne, jamais, ne dit ce qu'il en est. Résultat : une telle opacité est la "mère de toutes les rumeurs".



Alain Laurent-Faucon

A LIRE ABSOLUMENT :

KAPFERER Jean-Noël, Rumeurs. Le plus vieux média du monde, Seuil, Paris, 1987.



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