LE CLÉZIO : UN NOBEL IMMÉRITÉ ?!

Publié le par alain laurent-faucon


Enfin ! Quelqu'un qui a encore de l'audace et qui ose écrire ce que nous sommes quelques uns à penser ! De nos jours, le non conformisme et l'insolence ne sont plus de flamboyantes vertus ! Nous n'avons que des besogneux de l'intellect qui versent, toute honte bue, dans la flagornerie et les éloges afin de paraître intelligents et, surtout, afin de ne point trop avoir d'ennuis. Je parle de toi et tu parles de moi.

Même mes étudiant(e)s me désespèrent, qui pensent que les réseaux sociaux (sic) sont le nec plus ultra pour être connu et faire carrière. Ils entrent - insidieusement - dans le monde des courtisans, des esclaves, des larbins, des copains-coquins ... et de la position couchée ! Peu à peu ils deviennent tributaires du regard de l'autre, de l'image renvoyée, des propos rapportés, et si on ne les cite pas, si on ne parle pas d'eux, ils sont perdus. Pour emprunter à Maître Eckhart l'une de ses belles formules que je sors totalement de son contexte - l'être fini dans son rapport à l'infini - nous sommes en pleine "mendicité ontologique"; leur ego est leur faille et n'importe qui peut en jouer, et les blesser. 

On est loin du panache des mousquetaires, courses folles et mouchoirs de dentelle, de la désinvolture des hussards et de la Parisienne ! Tous ces petits marquis du Net, sans grâces ni talents, déjà gras du bulbe s'ils ne sont pas encore gras du bide - mais cela ne saurait tarder -, prennent leur nombril et celui de leurs potes pour le centre du monde. Toutefois, ces potes dont ils ont tant besoin pour paraître à défaut d'être, sont-ils de vrais amis ou d'utiles marche-pieds et faire-valoir ?

Fini le temps des Molière, des Léon Bloy, des Péguy, de ces gueulards qui ridiculisaient définitivement les imbéciles galonnés et n'hésitaient pas à qualifier de crétin un crétin. 

Alors, pour une fois que, dans cette vie intellectuelle morne et sans éclat où seule compte la pensée tiède et paresseuse, quelqu'un ose tenir des propos iconoclastes, qu'il soit, ici, remercié !

Mais attention : aucun(e) candidat(e) au moindre concours de la fonction publique ne pourra reprendre ce qu'a écrit Frédéric-Yves Jeannet, car – vous le savez hélas – pour être correcteur ou membre d'un jury, il faut avoir accepté de se courber pour passer sous les fourches caudines de ses pairs. Et être l'un des leurs.

Donc : l'audace, l'insolence, la désinvolture, le panache et l'absence de conformisme ne sont pas des vertus cardinales chez tous ces gens-là ! L'université et le monde des clercs c'est comme les réseaux ! On baise la main qu'on ne peut mordre. Et la courbette devient le mode de l'être dans un monde réduit à l'entre-soi. C'est encore une fois la répétition du même, jusqu'à l'écoeurement.




Jean-Marie Le Clézio ou le Nobel immérité


par Frédéric-Yves Jeannet, écrivain et professeur de littérature

LE MONDE | Article paru dans l'édition du 19.10.08


Il n'est pas correct politiquement, me dit-on, de réfuter ou critiquer Le Clézio, tellement porteur, en ces temps de grande confusion, de bons sentiments, de nobles causes. Il fait donc l'unanimité. Or les bons sentiments et les causes justes ne produisent pas nécessairement de bonnes phrases, et la littérature n'appartient pas au domaine du sentiment.

Quelqu'un que je n'estime pas a publié en 1985 dans L'Express un article dont le sens était que le Nobel de cette année-là (Claude Simon) était une honte pour la littérature française. Entendons-nous sur le sens des mots. La France a produit depuis cinquante ans de grands écrivains (Gracq, Sarraute, Simon, Des Forêts, Blanchot, Duras, Butor, Pinget, Cixous, Michon, Ernaux, Bergounioux, et quelques autres), auteurs d'oeuvres universelles et reconnues comme telles. Elle exporte aussi un certain nombre d'auteurs français ou de langue française, publiés par des éditeurs parisiens, qui se vendent et se traduisent bien : Amélie Nothomb, JMG Le Clézio, Alexandre Jardin, bien d'autres. Ces auteurs franchissent sans encombre les frontières et véhiculent des idées plus ou moins honorables mais sont-ils pour autant nobélisables ? En quoi distinguez-vous, me dira-t-on, un grand écrivain d'un petit, ou d'un simple best-seller, et qui suis-je pour déclarer que Michon ou Cixous méritaient le Nobel alors que Le Clézio en est indigne ?

C'est en tant que professeur de littérature française que je souhaite m'exprimer ici, non comme écrivain. Ce qui distingue un "classique" d'un simple best-seller, c'est bien entendu l'universalité, l'originalité, la rupture novatrice que représente l'écriture du premier, et que ne possède pas le second. Ce n'est pas le nombre de résultats que l'on peut trouver sur Google qui définit l'universalité ou l'originalité d'un auteur. Amélie Nothomb, à cette aune, obtiendrait sans doute plus de résultats que Julien Gracq. Faut-il d'urgence corriger cette injustice et publier Nothomb dans la "Bibliothèque de la Pléiade" ?

Ce n'est pas non plus le nombre de langues dans lesquelles cet auteur a été traduit : on traduit plus Alexandre Jardin, qui s'en targue, que Mallarmé (qui n'est plus là pour s'en affliger ou en rire). Le Clézio, dont j'ai aimé les premiers livres, les seuls peut-être qui puissent correspondre à la définition de lui, qu'a donnée le comité Nobel comme auteur d'une oeuvre de "rupture", a pourtant toujours été un écrivain prolixe et bavard. A partir de 1980, il a écrit des best-sellers.

Les oeuvres littéraires qui comptent n'ont pas d'emblée un public conquis, elles creusent lentement leur ornière, font leur chemin. L'oeuvre de Marguerite Duras aura eu besoin de cinquante titres avant d'obtenir la reconnaissance générale avec L'Amant - mais n'obtint pas pour autant le prix Nobel. Ce qui fait l'universalité de Duras, c'est un ineffable, une phrase du type : "Chaque jour, on regardait ça : la mer écrite."

Ce qui fait l'universalité de Genet, c'est par exemple, dans cet autre incipit, un souffle d'épopée : "Les journaux qui parurent à la Libération de Paris, en août 1944, dirent assez ce que furent ces journées d'héroïsme puéril, quand le corps fumait de bravoure et d'audace." C'est la métaphore finale, la retombée bancale et bouleversante qui font qu'on a le sentiment de lire là du nouveau, comme le voulait Rimbaud. Comme pour le célèbre "Longtemps, je me suis couché de bonne heure" (de Proust), une certaine torsion de la syntaxe, un déhanchement, un incongru impromptu, un tremblement signalent le frémissement d'un style et l'acuité d'un regard.


Retour en arrière

 


Que l'on compare avec - encore au hasard, c'est le seul livre de Le Clézio qui se trouve ici sur un rayonnage accessible - l'incipit de L'Africain (2004) : "Tout être humain est le résultat d'un père et une mère." Est-on saisi, bouleversé ? Poursuit-on sa lecture, les phrases qui suivent ne valent guère mieux : "On peut ne pas les reconnaître, ne pas les aimer, on peut douter d'eux. Mais ils sont là, avec leur visage, leurs attitudes, leurs manières et leurs manies, leurs illusions, leurs espoirs, la forme de leurs mains et de leurs doigts de pied, la couleur de leurs yeux et de leurs cheveux, leur façon de parler, leurs pensées, probablement l'âge de leur mort, tout cela est passé en nous." Seule surprise : "leurs manières et leurs manies", à cause d'une allitération originale basée sur un parallèle étymologique.

Il aura fallu sept lignes d'une énumération interminable, banale, prévisible, pour qu'on lève le sourcil avant de le laisser retomber. Comparons avec Sanctuaire de Faulkner : "From beyond the screen of bushes which surrounded the spring, Popeye watched the man drinking." ("D'au-delà de l'écran de buissons qui entourait la source, Popeye regardait l'homme en train de boire.") Ou La Faim de Knut Hamsun : "C'était au temps où j'errais, la faim au ventre, dans Christiana, cette ville singulière que nul ne quitte avant qu'elle lui ait imprimé sa marque." Le balancement classique de la phrase - même au filtre de la traduction -, sa condensation de l'unité de temps et de lieu en deux propositions, sa révélation rétrospective, qui annonce un flash-back, de la narration entière, bref, sa "rupture" avec l'incipit classique donnent à cette ouverture une marque indéniablement littéraire.

Le Clézio, qui défend le roman contre vents et marées, ferait bien de chercher à comprendre comment un roman est fait. Oui, la littérature est question de phrases. Car c'est bien ce qui distingue Bernard Pivot de Julien Gracq, et fait que le premier n'écrira jamais La Littérature à l'estomac, ne serait-ce que parce qu'il serait incapable de produire une telle métaphore, alors que le second n'aurait siégé pour rien au monde ni au jury Goncourt ni à l'Académie suédoise - qui ne vaut guère mieux que la française.

Le Nobel de Le Clézio fait rétrograder la littérature française de plusieurs décennies, et l'appréciation que fera le reste du monde de notre littérature, pourtant fertile, car on jugera à l'aune de l'Académie suédoise que ce qu'on a fait de mieux depuis Claude Simon est d'écrire qu'en effet, nous sommes tous le résultat d'un père et d'une mère.

 

Frédéric-Yves Jeannet


 

Remarque : Interrogé par le journal le Monde, l'écrivain a commis quelques réflexions dont la banalité vaut son pesant de grattons comme l'on dit à Lyon. Je pourrais en citer une ou deux, histoire de conforter les dires de Frédéric-Yves Jeannet, mais à quoi bon ?

Je voudrais surtout attirer l'attention de mes étudiant(e)s - j'en ai quelques uns que je fais travailler bénévolement depuis que j'ai arrêté tous mes cours à la fac - sur la nécessité de penser par soi-même avant de relever telle ou telle phrase pour espérer la recaser dans une dissertation de culture gé. Déjà, en soi, ce genre de démarche est totalement inutile, si celui ou celle qui relève une phrase ne la questionne pas au préalable. Mais, en rappelant cette banalité affligeante, je ressemble à Don Quichotte, je me bats contre des moulins à vent !

Pourtant, et cela est rare tant le doute fait partie de toute pensée en train de se faire – le fameux doute cartésien qui est la raison d’être du cogito -, pourtant, pour une fois, je sais que je suis dans le vrai : il ne s’agit pas, en effet, de lire beaucoup mais de bien lire, et bien lire c’est, à partir d’une réflexion, développer sa propre pensée, aiguiser son propre jugement.

Il est bien évident que le texte de Frédéric-Yves Jeannet peut être contesté – cf. ci-après une synthèse du Monde à ce sujet -, mais ce qui m’importe ici, c’est de vous inciter à lire autre chose que le convenable et le convenu, histoire de nourrir votre réflexion.

Mais avant de poursuivre, je voudrais m’arrêter un instant sur le commentaire de Lydie à propos de ce que j’ai dit sur les réseaux sociaux et lui répondre par la même occasion.


Commentaire de Lydie …

Grâce à votre site, la préparation au concours d'attaché territorial n'aura pas été du bachotage mais une réelle ouverture sur de nouveaux questionnements et de nouvelles réflexions ! Merci pour ce partage d'informations et quel plaisir de voir que des personnes comme vous sont capables de regarder avec humour et sans concession un sytème qui les a pourtant adoubé.

Néanmoins, je rejoins le pragmatisme de vos étudiants dans l'importance qu'ils accordent aux réseaux sociaux, car, avoir le concours, est une première chose auxquels les efforts et la chance peuvent certes permettre d'accèder ; en revanche, c'est bien souvent le réseau social qui constitue le sésame pour entrer dans le poste tant espéré. Non ? ? ?

Bonne continuation à vous et j'espère que ce site continuera encore longtemps d'exister.


… et réponse !

Je vous remercie infiniment pour votre commentaire si bienveillant et stimulant, et pour vos remarques si pertinentes et qui modulent, à juste titre, mon mouvement d'humeur à propos des réseaux sociaux.

D'autres étudiant(e)s m'ont également dit la même chose et je conviens du bienfondé de toutes ces mises au point. Et de la nécessité d'apporter quelques bémols à mes propos !

Simplement, mon mouvement d'humeur était dû au fait qu'il convient de savoir raison garder, en évitant - à la fois - une "instrumentalisation" des relations dites "amicales" et un risque de dérapage : celui qui consiste à ne plus préserver cette mise à distance - ou cette puissance d'écart - qui évite d'être sous l'emprise du regard de l'autre, du conformisme ambiant.

Car c'est bien là le danger de l'entre-soi, celui de devenir l'esclave du paraître, de vouloir à tout prix être conforme, de chercher sans cesse l'approbation des autres pour rester l'un des leurs, de souffrir éventuellement de leurs jugements ou de leur silence.

En aucun cas, il ne faut se justifier - car la justification est la pire des soumissions ... Même à l'oral d'un concours, il faut éviter de tomber dans ce piège ... Se justifier c'est, en effet, accepter de se soumettre au jugement de l'autre, et c'est perdre toute dignité ... Et ce n'est pas pour rien que, face à la police, dans un commissariat, il faille sans cesse se justifier, comme jadis face aux institutions religieuses ! Et de nos jours hélas, la précarité étant là, face aux travailleurs sociaux, assistantes sociales, référents RMI ou éducateurs.

Ces réserves faites - mais elles me semblent importantes - les réseaux sociaux permettent d'ouvrir des portes, de ne pas se sentir seul, d'avoir d'éventuels conseils, etc. Grâce à ces réseaux [1], certains de mes étudiant(e)s ont effectivement pu entrer en contact avec des candidat(e)s ou des aîné(e)s qui préparent ou qui ont préparé tel ou tel concours, qui veulent intégrer ou qui ont déjà intégré telle ou telle grande école ou administration ...


 

NOTES :

 
[1] Notamment les mafias d'école, des sites participatifs comme « Prépa' Concours Attaché Territorial » ou des réseaux comme Facebook pour ne citer que le plus connu d'entre eux, etc.

 

Pour conforter les observations de Lydie et de mes étudiant(e)s - même si j'avoue que ces « réseaux sociaux » m'horripilent ! -, voici un article tiré du Courrier International à propos de l'élection présidentielle et de l'importance de ces fameux réseaux. Article que j'ai découvert - il faut toujours, et c'est le prof qui parle, citer ses sources et reconnaître ses dettes ! - grâce au blog  http://expressionbts.canalblog.com/ 

Avant que vous ne lisiez cet article, je voudrais néanmoins apporter quelques précisions sur mes prises de position concernant cet entre-soi et cette pensée molle qui cherche l'adhésion de la tribu des mêmes, en citant des extraits d'une chronique de Jean-Michel Dumay parue dans le Monde du dimanche 16, lundi 17 novembre 2008. Le journaliste note que « dans la Nouvelle revue de psychosociologie (n° 6), le sociologue Eugène Enriquez fait ainsi le constat d'un monde devenu progressivement « sans transgression » une fois passé le hoquet des années 1965-1980 qui virent l'ordre social et moral hué et remis en cause [...] ». Et le journaliste d'ajouter : « La capacité de provocation (qu'incarnaient par exemple autrefois des vagues comme le dadaïsme ou le surréalisme) est en berne. Tout comme la capacité de dérision. Et rares sont les êtres de conviction prêts à prendre des risques. »

Et ce n'est pas dans le huis clos des réseaux sociaux que l'on pratique l'insolence, la dérision ou la transgression, car c'est le monde de la pourliche comme dirait Jésus la Caille ! Et de la « servitude volontaire » - faudrait vraiment relire La Boétie !

 

 

 

Courrier International

http://www.courrierinternational.com/

22 octobre 2008


ÉLECTION AMÉRICAINE

De l'importance d'avoir des amis sur Facebook


La campagne se déroule aussi sur Internet, un média qui fournit aux experts une masse de données sur les préférences et le comportement des électeurs. Reste à savoir les exploiter.


La première véritable "élection Internet" a produit une abondance de statistiques qui submerge les accros de la politique, habitués à mesurer le succès d'une campagne en se fondant sur des méthodes plus traditionnelles comme les sondages et les fonds récoltés. "C'est sans précédent", confie Kevin Wallsten, 31 ans, professeur de sciences politiques à l'université d'Etat de Californie à Long Beach. "Nous n'avons pas vraiment la capacité de gérer tout ça."

Parmi le foisonnement de nouvelles données : Barack Obama, le candidat démocrate, compte près de quatre fois plus d'amis sur le réseau social Facebook que John McCain, son adversaire républicain. Les spots en ligne du candidat démocrate ont dans l'ensemble attiré davantage de spectateurs, mais chaque spot de McCain a attiré plus de spectateurs en moyenne.

Ces chiffres sont-ils utiles ? Christine Williams, professeur de sciences politiques à l'université Bentley à Waltham, dans le Massachusetts, pense que oui, en particulier en ce qui concerne la campagne pour l'investiture, quand les candidats potentiels se battent pour sortir du lot.

Par exemple, l'une des grandes différences entre les performances de Barack Obama et de Hillary Clinton pendant la course à l'investiture démocrate, c'est que le premier obtenait de meilleurs résultats dans les caucus. Ces scrutins de base nécessitent davantage d'interaction avec les électeurs pour les convaincre d'une part de voter, d'autre part d'assister aux longs débats publics.

La victoire d'Obama dans l'Iowa a stupéfié les experts du parti et bouleversé la course à l'investiture démocrate. "Si on avait pris plus au sérieux les chiffres que réalisait Obama sur Facebook, on n'aurait pas été aussi étonné quand il a remporté le caucus de l'Iowa", explique Christine Williams. Elle a en effet constaté que les candidats qui avaient le plus d'amis sur Facebook et étaient les plus cités dans les blogs avant les caucus – ce qui était le cas d'Obama – recueillaient la majorité des voix.

Quel que soit le résultat de l'élection, les politologues estiment que cela changera la manière dont les gens reçoivent les données générées par Internet. Il existe déjà sur la Toile un secteur appelé "analyse web" dont on commence à peine à comprendre l'utilité dans les campagnes politiques. TubeMogul, un cabinet d'analyse web d'Emeryville, en Californie, a étudié depuis avant les primaires le nombre de fois où les spots de campagne officiels sont vus par jour. Depuis le début de l'année, les spots du camp Obama ont attiré davantage de spectateurs pendant 93 % des jours mais une vidéo de l'équipe McCain est passée en tête pendant quelques jours début août – celle qui se moquait de la célébrité d'Obama en associant ce dernier à Britney Spears et Paris Hilton.

Ce qui est peut-être plus utile pour les équipes de campagne et les experts, c'est de savoir qui regarde ces spots. Pour cela, on peut entre autres regarder qui fait des commentaires sur les sites comme YouTube. Si ce sont des commentateurs masculins en majorité qui regardent les spots des deux candidats, Barack Obama attire un pourcentage de femmes nettement plus élevé que John McCain, selon TubeMogul, ce qui illustre le poids du sénateur de l'Illinois auprès des femmes. Si regarder une vidéo témoigne d'un certain intérêt, se déclarer partisan d'un candidat sur la page Facebook ou MySpace, un autre réseau social, de celui-ci implique un degré d'engagement plus élevé – et peut-être un premier pas vers une participation active à la campagne.

Même les recherches sur Google sont instructives, confie Nate Silver, dont FiveThirtyEight, un site pro-Obama, a conquis un public pour son utilisation novatrice des données des sondages. Ces recherches, comme les primaires de l'Iowa et du New Hampshire, constituent un premier indicateur de la force d'un candidat. L'absence de recherches Google sur le candidat républicain Rudolph Giuliani laissait entendre qu'il "ne faisait pas parler de lui sur la Toile. C'était un bon indicateur de sa fin", explique M. Silver.

The Wall Street Journal

 

Voici, maintenant, un certain nombre de critiques concernant la charge de Frédéric-Yves Jeannet - critiques publiées dans le "Courrier des lecteurs" du quotidien le Monde et résumées par la médiatrice Véronique Maurus. Comme vous pourrez le constater par vous-même, les critiques sont plutôt courtes - au sens d'étriquées, superficielles - et s'attaquent souvent à la personne, la sommant de se justifier, de dire d'où elle parle. Encore et toujours surgit le mode inquisitorial, à défaut d'engager un véritable débat. On ne discute pas, on invective celui qui pense mal, c'est-à-dire pas comme nous. Et l'on reste dans le registre du même. Eh oui ! nous sommes loin de l'insolence des revues et magazines littéraires des années 1930 - ou de celle des hussards et de la Parisienne. Mais qui connaît les hussards et la Parisienne ? « Il faut savoir désespérer jusqu'au bout », disait Roger Nimier. Et d'abord savoir désespérer de soi, cela s'entend !



Querelle littéraire


LE MONDE | Article paru dans l'édition du 26.10.08.


Les querelles littéraires alimentent d'ordinaire fort peu le "Courrier des lecteurs". Non par manque d'intérêt, mais parce qu'il semble admis qu'en la matière tout jugement est par nature subjectif. L'émotion provoquée par la diatribe de Frédéric-Yves Jeannet, écrivain et professeur de littérature, est donc tout à fait inhabituelle. Publiée en pages "Débats" (dans l'édition datée 19-20 octobre), sous le titre : "Jean-Marie Le Clézio ou le Nobel immérité", elle critiquait amèrement l'oeuvre de Le Clézio, le comparant à d'autres écrivains jugés plus "universels", et concluait que son Nobel faisait "rétrograder la littérature française de plusieurs décennies".

Les lecteurs n'ont pas apprécié - c'est un euphémisme. Et ils l'ont écrit, abondamment. Depuis une semaine, c'est un flot continu de messages navrés, en général fort bien tournés, pesés, argumentés, parmi lesquels il est difficile de faire un choix - ceux que nous n'avons pas cités ici faute de place nous excuseront.

"Il y a au moins une bonne question dans cette tribune : "... qui suis-je pour déclarer... que Le Clézio est indigne du Nobel de littérature ?" On se le demande en effet, relève Henri Bonnafoux (Saint-Didier-au-Mont-d'Or, Rhône). F.-Y. Jeannet souligne qu'il s'exprime en tant que professeur de français : avec de tels commentaires, on ne s'étonnera pas que le goût de la chose écrite ne régresse. Je suis un passionné de Gracq et de Duras (...), pour ne citer que ces deux auteurs qui trouvent grâce au nom du censeur. Est-ce pour autant une justification pour jeter l'anathème sur un auteur qui a, entre autres, le mérite d'amener les jeunes à la lecture. Erik Orsenna a dit, en substance, que toute littérature est bonne qui amène à la lecture : je suggère que M. F.-Y. Jeannet en prenne de la graine !"

"Avez-vous jamais lu Frédéric-Yves Jeannet ? Moi pas. Ou en tout cas pas jusqu'à ce matin..., ajoute Antoine Desforges (Neuilly, Hauts-de-Seine). Le monsieur qui me parlait me démontrait à quel point j'étais dans l'erreur en appréciant le Nobel de Le Clézio (...). Il ne parlait pas de n'importe où. "C'est en tant que professeur de littérature française que je souhaite m'exprimer ici, non comme écrivain", nous écrit-il. Là il n'y a plus rien à dire ! C'est l'argument d'autorité. Si c'est le prof qui parle... (...). Le côté amusant de l'affaire, c'est que, étant allé chercher quelques lumières sur l'oeuvre littéraire de F.-Y. Jeannet, j'ai découvert qu'il avait coécrit avec deux des nobélisables qu'il nous propose à la place de cet imposteur de Le Clézio. Drôle, non ?"

Cette question, souvent posée dans le courrier est légitime. Frédéric-Yves Jeannet est en effet un écrivain tout à fait honorable mais confidentiel, connu des seuls milieux littéraires d'avant-garde. En vingt ans, il a été mentionné dix fois dans nos colonnes, et son oeuvre a bénéficié de quatre critiques : pour une autobiographie (Cyclone, Le Castor astral, 1997), une anthologie de Michel Butor (De la distance, Le Castor astral, 2000), un livre d'entretiens avec Annie Ernaux (L'Ecriture comme un couteau, Stock, 2003), et un autre avec Hélène Cixous (Rencontre terrestre, Galilée, 2005). Il a enseigné par ailleurs la littérature en Nouvelle-Zélande.

La faible notoriété de l'auteur ne suffit pas à disqualifier son texte. Les pages "Débats" ne sont pas réservées aux célébrités. Elles sont également ouvertes à des inconnus, souvent spécialistes d'un domaine. Visant à nourrir ou créer le débat public, ces pages accueillent aussi des opinions provocatrices, allant à contre-courant du consensus, pourvu qu'elles soient solidement argumentées. C'est ici que le bât blesse car, de l'avis unanime de nos lecteurs, la critique virulente de M. Jeannet n'était pas à la hauteur de ses ambitions.

"Quant au contenu de l'offensive, j'y relèverai les choses suivantes qui la disqualifient de fond en comble, explique, parmi d'autres, l'écrivain Michel Rio. Une erreur de logique. A savoir une corrélation fausse entre best-seller et mauvais livre, insuccès et bon livre. En vérité, toutes les combinaisons sont possibles (...). Une aberration sur la définition du terme "universalité" d'une oeuvre. Selon moi, c'est sa capacité de traiter de la condition de notre espèce sans aucune frontière de temps, d'espace ou de savoirs. Pour Jeannet, il s'agit, explicitement d'"ineffable", de "torsion de la syntaxe", de "déhanchement", d'"incongru impromptu", de "frémissement d'un style" (...). Je ne vois pas bien ce que ces pauvretés rhétoriques floues ont à voir avec une quelconque universalité (...). Deux petites scélératesses. La première : résumer une oeuvre en isolant une phrase hors contexte (...). La seconde : coincer la chair littéraire de Le Clézio entre deux tartines de pain industriel Nothomb et Jardin (...). Enfin, Le Clézio m'apparaît comme un homme libre. Connu et libre, ou plutôt connu mais libre. A l'époque de la dictature médiatique, c'est au moins aussi rare qu'un écrivain."

N'ayant pour lui ni une légitimité évidente ni un raisonnement imparable, ce texte pose donc une autre question : comment est-il arrivé là ? Derrière elle, pointe le soupçon d'une cabale littéraire. "Par quelle voie tortueuse le pavé anti-Le Clézio de F.-Y. Jeannet a-t-il abouti en page 18 du Monde ?", demande Thierry Follain (Paris). "Pourquoi avoir ouvert vos colonnes à ces accusations fielleuses ? Et sous un titre si péremptoirement affirmatif qu'il en est risible", renchérit Dominique Sizun (Paris). "A qui donc profite cette laborieuse dissertation ?, s'interroge Charles Grubner (courriel). On est tenté de répondre : à un clan de nobliaux encore trop petits pour être nobélisables et qui font un "coup de com", pour faire croire qu'ils le sont."

Rassurons nos lecteurs : le texte de M. Jeannet est arrivé au Monde par les voies les plus courantes. L'auteur l'a expédié par courriel à 90 personnes, dans l'espoir qu'il serait publié quelque part. Un membre de la rédaction l'a reçu et transmis aux responsables des pages "Débats", Gérard Courtois et Nicolas Weil, qui l'ont retenu, notamment pour son actualité et son caractère provocateur.

Le fait que Le Monde ait publié, le jour de l'annonce du Nobel, deux pages entières et un éditorial signé de son directeur saluant ce prix, montre assez que cette opinion ne représentait en rien celle de la rédaction. Le journal a d'ailleurs publié, le 25 octobre, un texte de l'écrivain Alain Mabanckou qui répond à Jeannet et rétablit l'équilibre. Le débat a donc été lancé. Etait-il bien utile ?

Véronique Maurus

  
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