SCIENCE ADMINISTRATIVE

Publié le par alain laurent-faucon


 

Vous qui passez des concours de la fonction publique, vous devez posséder quelques rudiments de science administrative afin de connaître ce qui ne se dit pas mais ce qui est, c'est-à-dire cet esprit de corps, parfois cet esprit de caste, ces codes sociaux, qui font dire à différents auteurs qu'un fontionnaire appartient d'abord à son servive avant d'appartenir à l'administration.

Je me suis permis de faire une synthèse des fiches de travail concernant la Science Administrative (S.A.) que Jean-Paul PAYRE, maître de conférence de Droit public à la Faculté de droit de Grenoble, a mises en ligne.


Que cet universitaire me pardonne de ne conserver de son admirable travail que ce qui peut intéresser les étudiants et les étudiantes qui se présentent à des concours de la fonction publique, catégorie A. Mais j'invite tout le monde à aller consulter le site de Jean-Paul PAYRE, tant il est riche en informations et réflexions sur ce qu'il est convenu d'appeler la Science Administrative.

En discutant avec les étudiantes et les étudiants, je me suis aperçu – non sans un réel étonnement – que la quasi totalité d'entre eux (depuis Vaugelas c'est le masculin qui prime !) ne connaissait rien, mais absolument rien, de ce qui fait le propre de l'administration dans laquelle ils veulent s'intégrer.


Mais une nouvelle fois : je vous invite toutes et tous à consulter le site de cet enseignant. Il vous sera, en effet, fort utile pour comprendre le « phénomène administratif ». Jean-Paul PAYRE analyse les divers courants de la Science Administrative, parle de l'administration et des groupes de pression, de la bureaucratie, etc.





Science administrative



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Radiographie de l'administration


par Jean-Paul PAYRE

 

 

Quetionner l'administration - Historique et définition, Les grands courants de la science administrative, Méthodes et objet de la science administrative, Administration, politique et groupes de pression, Les missions de l’administration, La réforme administrative, La notion de bureaucratie, Radiographie de la bureaucratie, L’organisation interne des ministères, Les auxiliaires de l’Exécutif, Les corps de contrôle, L’Ecole nationale d’administration, La socialisation des fonctionnaires, Le secret administratif, La perception de l’administration par le public, La stratégie de l’administration, Qu’est-ce qu’une décision administrative ?, L'élaboration de la décision administrative, L’application des décisions administratives, Mémento.


L’administration est une organisation très complexe où les relations d’autorité ne se confondent pas toujours avec les relations hiérarchiques. Chaque administration est composée d’une multitude d’unités superposées, jalouses de leur autonomie et de leurs pouvoirs, qui sont plus attachées à leurs propres buts qu’aux objectifs officiels des pouvoirs publics.


Les hiérarchies parallèles

 

Il y a dans l’administration un organigramme officiel, c’est-à-dire une hiérarchie pyramidale officielle, qui cache des hiérarchies officieuses. L’administration est un système social complexe, dans lequel chaque groupe a un certain pouvoir sur la hiérarchie et sur les autres groupes. L’étendue de ce pouvoir varie en fonction de la capacité à contrôler ce que les sociologues appellent les « sources d’incertitude » grâce, soit à des connaissances particulières, soit à une situation stratégique privilégiée. Chaque groupe possède ainsi une marge d’autonomie plus ou moins grande, et une faculté de pression à l’intérieur d’une organisation administrative qui devrait être, selon M.WEBER, totalement rationnelle et prévisible.

Si des rapports de pouvoir se développent au sein des organisations bureaucratiques, c’est parce qu’il règne toujours une part d’incertitude. Les groupes qui contrôlent les zones d’incertitude ont l’avantage sur ceux dont le comportement est entièrement prévisible (M.CROZIER). Certains groupes ont du pouvoir, parce que contrairement à d’autres, leurs comportements ne sont pas limités par des normes. Les groupes qui échappent le plus aux règles sont, en principe, ceux qui sont les plus élevés dans la hiérarchie. Mais certains auteurs, comme CROZIER, ont montré que certains agents subalternes peuvent contrôler une zone d’incertitude, et donc résister aux autorités hiérarchiques, voire influer sur leurs décisions.

C’est de cette manière qu’est expliqué le développement du pouvoir des experts (CROZIER, FRIEDBERG). L’expert, parce qu’il est le seul à détenir certaines connaissances et de l’expérience, est seul capable de résoudre certains problèmes très importants. Il possède donc des armes considérables dans une éventuelle négociation. Même sans être des experts, certains individus ont un monopole de fait qu’ils défendent âprement (cf. CROZIER, Le phénomène bureaucratique : les ouvriers d’entretien des machines dans l’usine du S.E.I.T.A.).

Le pouvoir d’un groupe, sa position dominante au sein de l’administration, peut aussi résulter du fait qu’il détient l’information. C’est un truisme que de rappeler que l’information dicte souvent la décision. L’information constitue donc un enjeu capital dans la stratégie des groupes et des individus qui veulent accroître leurs pouvoirs et leur influence. On comprend mieux, alors, les remous provoqués par l’introduction de l'informatique et des nouvelles technologies de l'information et de la communication (N.T.I.C.) dans l’administration. Chaque groupe, chaque individu, sachant que l’information est source de pouvoir, va s’efforcer de conserver l’exclusivité de cette information. Ainsi s’expliquent de nombreux phénomènes de rétention de l’information. Toutefois une nuance doit être formulée : il ne suffit pas de connaître l’information pour détenir du pouvoir. Encore faut-il la comprendre, savoir l’utiliser, et qu’elle soit importante.

Autrement dit, dans l’administration, ceux qui sont investis officiellement du pouvoir ne sont pas toujours ceux qui en détiennent réellement la totalité. Les autorités officielles se trouvent parfois en conflit avec des leaders qui, en raison de leurs qualités personnelles, de leur charisme ou de leur prestige, exercent une influence déterminante. Les « généralistes » qui dirigent les services, et dont le pouvoir a un fondement juridique, s’opposent aux « spécialistes » dont le pouvoir s’appuie sur des connaissances techniques particulières et de l’expérience. On peut dire que dans toute administration, une concurrence existe entre l’autorité fondée sur la hiérarchie administrative et l’autorité fondée sur la compétence professionnelle. Lorsque la technicité des décisions est grande, les « professionnels » l’emportent sur les « administratifs ». Dans la plupart des administrations, les professionnels sont subordonnés aux administratifs, mais la situation inverse est possible, notamment dans les universités et les hôpitaux. Des études ont montré l’existence de hiérarchies parallèles à l’intérieur des hôpitaux, et l’importance du pouvoir « technico-charismatique » du corps médical.


Les féodalités administratives

 

L’administration est-elle balkanisée ? Elle est souvent présentée comme une mosaïque de seigneuries. Chaque service, chaque corps a tendance à se refermer sur lui-même, à défendre son propre intérêt. Ce phénomène est inévitable en raison de la taille des administrations, de la division et de la spécialisation du travail. Les groupes et les sous-groupes ne cherchent pas à communiquer et encore moins à coopérer. Ce qui fait dire à J-C.THOENIG que l’administration est « une société de castes », « une juxtaposition de féodalités ».

Les clivages ministériels. Il y a toujours eu des rivalités entre ministères, et à l’intérieur de chaque ministère, entre directions. Au sein d’un département ministériel, toute apparition d’un nouvel organe, toute restructuration, provoquent des réactions des anciennes structures. Puis ces nouvelles unités se sédimentent à leur tour. Les équilibres qui se constituent sont farouchement défendus par les féodalités existantes. On peut trouver dans l’administration française de multiples exemples de ces cloisonnements verticaux, mais la rivalité la plus célèbre est celle qui oppose, au sein du Ministère des Finances, les directions du Budget, du Trésor, et des Impôts.

Afin de mieux se protéger, chaque segment administratif veut contrôler le recrutement et la formation de son personnel. Ainsi peut mieux se maintenir l’esprit de corps et la tradition. Une des conséquences de ces clivages est, qu’en dépit des tentatives d’uniformisation des carrières et des traitements, des fonctionnaires de rang hiérarchique égal ont des situations inégales (ex : administrateurs civils), ce qui accentue le cloisonnement. En d’autres termes, le fonctionnaire appartient à son service avant d’appartenir à l’administration.

[...]

Les clivages des corps. Les cloisonnements affectent non seulement les ministères mais aussi les corps qui les peuplent. Les corps administratifs ont tendance à se multiplier avec chacun un statut particulier. Chaque corps défend âprement ses privilèges. Les corps appartiennent eux-mêmes à des strates, et si l’on peut passer assez facilement d’une strate à l’autre, il est souvent très difficile, sinon impossible, d’intégrer le corps dominant de la strate à laquelle on accède (cf. études sur les ingénieurs des travaux publics de l’Etat et les ingénieurs des Ponts et Chaussées).

La conscience d’appartenir à un corps ou à une catégorie hiérarchique existe chez de nombreux fonctionnaires ; elle commande leur comportement et leur vision des autres corps. Il existe dans chaque corps une solidarité forte entre les membres, le corps exerçant en retour une pression très forte sur ses membres, exigeant d’eux un certain conformisme. Les corps défendent une ségrégation incontestable entre les hauts fonctionnaires et le personnel d’exécution, les fonctionnaires restés au siège et ceux détachés en province, etc.

En France, malgré la relative unification du recrutement (E.N.A., I.R.A.), les chapelles et les castes se multiplient dans l’administration, en particulier dans la haute fonction publique. CROZIER et THOENIG donnent des raisons psychologiques et culturelles à ce phénomène : isolement social, méfiance réciproque entre supérieurs et subordonnés, refus de la dépendance, différence d’origine des agents.

Le clivage entre les corps est aggravé par leur autonomie tant dans la gestion du personnel que dans l’exercice des fonctions. Le corporatisme entraîne pour chaque corps une revendication pour le monopole dans son domaine d’action, dans sa sphère de compétence. Selon THOENIG, la hiérarchie administrative finit par ressembler à une superposition de monopoles détenus chacun par un groupe social autogéré. Cette autogestion aboutit à une forte structuration et à une sélection très sévère dans le recrutement. Ne sont admises dans le corps que les personnes acceptant les valeurs du corps et l’esprit de corps. Dans le même temps, chaque groupe développe un savoir spécialisé, une compétence spécifique qui fondent sa légitimité et permettent au corps de se différencier des autres. C’est le cas des grands corps techniques de l’administration française (ex : le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées recrute et forme ses membres, gère les carrières, assure les avantages et les nominations, élabore le savoir et les normes nécessaires, inspecte la manière dont les fonctions sont remplies).

Le corporatisme se reproduit à tous les degrés de la hiérarchie. Un de ses rares effets positifs est l’émulation : chaque groupe combat les autres, mais tente aussi d’imiter les groupes supérieurs. Chaque corps, non seulement défend ses positions, son monopole, son autonomie au sein de l’administration, mais essaie aussi d’étendre sa zone d’action et d’influence. Cette lutte des corps administratifs, qui trouble la politique de chaque ministère, est parasitée par le combat syndical.


[...]


2



La socialisation des fonctionnaires




par Jean-Paul PAYRE


 

La fonction publique (F.P.) est une gigantesque mosaïque. Il est nécessaire que la communauté de vues, d’intérêts, et de comportements des fonctionnaires compense la diversité de leurs origines sociales et des groupes sociaux dans lesquels ils se reconnaissent. L’homogénéisation des agents est une obligation impérieuse, tant sur le plan politique que sur le plan organisationnel, mais elle est rendue difficile par l’élargissement des bases sociales du recrutement de la F.P. C’est pourquoi les agents publics, du recrutement jusqu’à la retraite, sont soumis à une socialisation qui vise à leur inculquer des valeurs communes et des comportements conformes.

Toutes les organisations s'efforcent de faire intérioriser par leurs membres les buts, les normes et les préceptes qui fondent leur action, tant pour apparaître cohérentes vis-à-vis de l'extérieu que pour souder leurs éléments internes (T. PARSONS).

La première méthode consiste à ne recruter que des individus capables d'intérioriser les valeurs de l'organisation. A. DARBEL & D. SCHNAPPER (Morphologie de la haute administration française, 2 vol. 1969-1972) ont montré qu'en France, pour les hauts fonctionnaires, l'administration ne recrute que des individus qui, par leur hérédité professionnelle et leur formation universitaire, connaissent déjà les normes selon lesquelles fonctionne l'administration, avant même d'être passés par une grande école. L'action administrative est d'autant plus prévisible et efficace que le système de valeurs des agents répond à celui de l'organisation et donc aux valeurs sociales dominantes. C'est dans les catégories sociales les plus élevées que sont le mieux intériorisées les valeurs administratives, dans la mesure où elles coïncident avec celle du milieu.

 

Pour ces auteurs, à travers le concours, c'est le système de la cooptation qui se perpétue : l'imitation est la clef du succès puisqu'il s'agit de reproduire un modèle dominant seul reconnu légitime.

 

Evidemment, l'E.N.A. et les autres écoles de l'administration poursuivent cette socialisation. Il existe une hérédité professionnelle dans la fonction publique, et la formation universitaire n'est souvent qu'un complément à une imprégnation qui a commencé dans le milieu familial.

[...]

Plus les valeurs sont intériorisées, plus l'autorité sera consentie, et moins la discipline et le contrôle seront nécessaires. Malgré l'extrême difficulté à obtenir des statistiques, on peut dire qu'il y a peu de sanctions dans la F.P. (quelques centaines chaque année). Les ministères les plus touchés sont ceux où les agents sont les plus tentés par l'argent ou le pouvoir : le ministère des Finances et le ministère de l'Intérieur.

Malgré les contrôles de socialisation l'administration n'est pas homogène. Des rivalités opposent des groupes, mais ceux-ci se contrôlent mutuellement assurant ainsi l'intégration et le fonctionnement du système.

[...]

Si la socialisation est réussie, il se développe un esprit de corps, c'est-à-dire le sentiment d'une solidarité et d'une communauté d'intérêt et de destin. J. CHEVALLIER écrit :

« En isolant ses agents du monde extérieur par des marques distinctives, en leur inculquant l'idée qu'ils ont un rôle à jouer spécifique au service de la nation qui justifie des privilèges et des obligations particulières, en insistant sur le prestige qui s'attache à la détention d'une parcelle de pouvoir, fut-elle minime, l'administration favorise le développement d'un esprit de corps ».


Synthèse effectuée à partir des travaux de Jean-Paul PAYRE, maître de conférence de Droit Public à la Faculté de droit de Grenoble, université Pierre Mendès-France. 

 

RAPPEL :

Jean-Paul Payre, maître de conférence en droit public à la faculté de droit de Grenoble a mis en ligne, pour les étudiants en droit et en sciences politiques, un cours abrégé de science administrative en 20 fiches.

A l’origine de ce site : la suppression des cours de science administrative à l’université de Grenoble, alors que la matière est toujours d’actualité dans de nombreux concours. Mr Payre a donc choisi d’aider les étudiants, en leur dispensant quelques éléments de connaissances en science administrative. Parmi les thèmes : méthode et objet de la science administrative, notion de bureaucratie, organisation interne des ministères, secret administratif, socialisation des fonctionnaires ... Une bibliographie accompagne chaque fiche.


UN PROBLÈME DE LIENS ?!
 

Il est actuellement impossible d'accéder aux fiches en question et au site de Jean-Paul PAYRE. Je ne sais vraiment pas à quoi cela est dû. Cela est regrettable car tout son travail sur la science administrative est admirable et riche d'enseignements. Est-ce simplement un problème passager ?! Toujours est-il que ses analyses sur l'administration comme groupe de pression mériteraient d'être lues et étudiées tant elles posent les vraies questions concernant les notions de service public (notion différente de "au service du public") et d'intérêt général (mais lequel ?). En voici un court extrait :

 

3


L'administration comme groupe de pression
 
par Jean-Paul PAYRE

 

« Si l'administration a une tendance naturelle à diriger les affaires publiques, c'est parce qu'elle est une organisation. Le poids de son organisation conduit la bureaucratie à être supérieure aux autorités politiques qui sont censées la contrôler, et ainsi à faire prévaloir ses propres fins en dehors de toute influence extérieure.

« Pour réaliser ses buts, l'administration dispose toujours d'une certaine autonomie, à la fois dans la prise de décision (pouvoir discrétionnaire), et dans les moyens qu'elle utilise. Cela explique la relative indépendance et la stabilité des agents qu'elle emploie. L'inconvénient est que l'administration a tendance à se constituer en corporation autonome, assez fermée, qui ne cherche à défendre que ses intérêts. J. CHEVALLIER a bien montré que l'administration, organisation hiérarchisée et disciplinée, tire de son caractère monolithique l'essentiel de sa puissance. Dans les sociétés libérales comme la France, la permanence, la continuité et la stabilité de la bureaucratie s'opposent à l'instabilité du personnel politique. L. NIZARD a pu écrire : « L'administration peut opposer son comportement rationnel, mesuré, continu, aux impulsions d'un pouvoir politique placé à la merci d'un électorat capricieux ». Ayant sa popre légitimité, l'administration se considère la véritable gardienne de l'intérêt général face aux intérêts fragmentaires et particularistes des hommes politiques. La bureaucratie n'est plus la servante du pouvoir politique en acquérant toujours plus d'autonomie. »


 

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L'administration subissant l'action des groupes d'intérêts
 
par Jean-Paul PAYRE

 

 

L'auteur, sur son site consacré à la science administrative, a également évoqué cette face cachée ou pas franchement avouable qui est celle de l'administration subissant l'action des groupes d'intérêts.
 

 

D'abord : « Chaque législation ou réglementation fait naître son lobby ; chaque lobby s’efforce de faire adopter une législation ou une réglementation. Dans quelle mesure les groupes de pression peuvent-ils agir directement sur l’administration sans passer par le pouvoir politique ? »
 

Ensuite : « Ce qui rend l’administration perméable aux groupes de pression, c’est l’identité d’origine sociale et de formation des hauts fonctionnaires et des cadres supérieurs du secteur privé. J.MEYNAUD a constaté que les chances de faire accéder les demandes au système administratif ne sont pas égales pour tous les groupes de pression : il faut tenir compte de la hiérarchisation du système social. Les chances sont d’autant plus grandes que la position occupée dans la stratification sociale est plus haute. Autrement dit, les groupes dominants disposent des meilleurs chances de se faire entendre. Les milieux d’affaires disposent de moyens d’information et de documentation importants, et sont en rapports constants avec les ministres et les hauts fonctionnaires. Ce sont les groupes sociaux les plus démunis, souvent incapables de s’organiser efficacement, qui ont le moins de chance de faire entendre leurs voix. Cette incapacité permanente pour certains groupes d’accéder au système administratif peut provoquer des accès de violence ( mai 1968 ), malgré l’existence de ce que l’on appelle aux Etats-Unis de garde-fous politiques (gate-keeper). »
 

Enfin : « La perméabilité des administrations aux groupes de pression est accentuée par la pratique du pantouflage. Le profit retiré par certains groupes d’intérêts tient non seulement à la compétence technique et à l’expérience, mais aussi et surtout aux relations des pantoufleurs. »


Extraits des travaux de Jean-Paul PAYRE consacrés à la Science Administrative - une discipline que l'on devrait obligatoirement enseigner à tous les candidat(e)s préparant des concours de la fonction publique.

 

LA SCIENCE ADMINISTRATIVE - 2 -

Publié le par alain laurent-faucon



Pour réussir un concours administratif, il faut questionner non seulement le sujet de la dissertation de culture générale, mais aussi la fonction publique elle-même. Car tout concours est, avec ses modes opératoires, une réponse aux attentes de telle ou telle administration. Un concours n'est jamais une fin en soi, il est toujours une ébauche de formatage - et c'est ce formatage-là que vous devez chercher à saisir, comprendre, appréhender. Le reste, mais vraiment tout le reste, vient de surcroît. Avant tout, c'est le questionnement qui fait la différence entre les candidat(e)s.

Il existe une discipline qui tente de saisir le phénomène administratif, et cette discipline c'est la Science Administrative. « Discipline relativement nouvelle parmi les sciences sociales, la S.A. a des antécédents fort anciens. Elle est l'héritière de la science de la police développée au début du XVIIIe siècle par le français Nicolas Delamare et par de nombreux auteurs allemands appelés « caméralistes », les plus célèbres étant Von Justi, Putter, Von Sonnenfels, Von Stein », rappelle Jean-Paul Payre, maître de conférence de Droit Public à la Faculté de droit de Grenoble. Et l'auteur poursuit :

L'objet, le but, les méthodes de la S.A. moderne et contemporaine sont
bien différents de la science de la police. « Jadis conçue comme une annexe, un complément du droit administratif, la Science Administrative contemporaine revendique l'autonomie et le caractère de science sociale à part entière  ».

La S.A. n'est pas une science normative ; elle ne montre pas l'administration telle qu'elle doit être (c'est le rôle du droit administratif), mais telle qu'elle est réellement. Et elle n'est pas homogène. J. Chevallier et D. Loschak ont bien montré « qu'elle est faite d'un ensemble de discours éclatés, stratifiés. Il n'y a pas une S.A. mais de multiples approches de l'étude de l'administration qui forment, en les accumulant, la connaissance en S.A. » 

Ces approches n'ont souvent que
« peu de points communs entre elles : le discours des juristes sur l'État est différent de celui des sociologues sur la bureaucratie ou la technocratie, qui n'a lui-même que peu de rapports avec le discours des managers sur les techniques décisionnelles ou le problème de la communication dans les grandes entreprises. Mais toutes recherchent, par des moyens différents, à comprendre le phénomène administratif. »

 

Remarque : Ce qui suit est extrait d'un dossier de travail réalisé par Jean-Paul PAYRE, maître de conférence de Droit Public ; un dossier composé de fiches de travail qu'il avait mises en ligne pour les étudiant(e)s qui désiraient passer des concours administratifs.

A l'époque des faits, je n'avais personnellement conservé que les passages du dossier de Jean-Paul PAYRE qui pouvaient également concerner mes étudiant(e)s passant en interne le concours d'entrée à l'ENSP (École de Rennes - directeurs d'hôpitaux) et qui se rapportaient à des thèmes susceptibles de faire l'objet d'un sujet ou d'une question à l'écrit comme à l'oral : psychosociologie de l'Administration, interférences administration / monde politique, socialisation des fonctionnaires, etc.

Il semblerait que le site de Jean-Paul PAYRE ne soit plus en service, car beaucoup de candidat(e)s recherchent actuellement ses fiches de travail, tant son dossier mis en ligne était fort bien fait.

Je propose donc quelques extraits, tirés de ces fameuses fiches aujourd'hui disparues, à tous les étudiant(e)s préparant les concours de la fonction publique, car je me suis aperçu combien leurs lacunes, concernant le phénomène administratif, étaient réelles et inquiétantes. Et pourtant : comment ignorer que l'esprit de tel ou tel concours renvoie à l'esprit de corps de telle ou telle administration ? Ou de telle ou telle grande école de la fonction publique ?

 





La Science Administrative
 

 


Jean-Paul PAYRE
 

 

Remarque : Quelle est la place de la science administrative - SA - parmi les sciences sociales ? Est-elle une science autonome, ou une science « carrefour », ou bien une science faisant appel à l'interdisciplinarité ? Telles sont les questions que l'on est en droit de se poser et que se pose aussi Jean-Paul PAYRE. Ci-après des extraits de sa réflexion - et je le prie de me pardonner les choix que j'ai pu faire dans le déroulé de sa pensée. Ces choix n'engagent que moi et mon éventuelle incompétence.
 

 

[...]

La S.A. est apparue, jusque dans les années 1960, comme une « science carrefour », pour reprendre l'expression de G. LANGROD ; elle visait, comme une science pluridisciplinaire, à accumuler et à synthétiser le maximum de connaissances sur le fait administratif. Depuis les années 1970, la S.A. cherche à atteindre l'interdisciplinarité, c'est-à-dire l'échange de concepts, la confrontation des méthodes et des points de vue. L'interdisciplinarité est un but très ambitieux qui doit surmonter de nombreux obstacles : cloisonnement des disciplines universitaires, difficultés à établir un langage et des concepts communs.

[...]
 


Science administrative et science politique
 

L'administration est l'instrument du pouvoir exécutif ; il est donc légitime de s'interroger sur les liens entre la S.A. et la science politique. Le débat doctrinal divise ceux qui pensent qu'il s'agit de deux sciences sociales distinctes (comme le droit administratif et le droit constitutionnel), et ceux qui estiment, au contraire, qu'elles sont les deux faces d'une même réalité, les tâches administratives ne pouvant être distinguées avec netteté des tâches politiques. Parmi les auteurs qui font de la S.A. une simple branche de la science politique : B. GOURNAY, M. DUVERGER, M.-C. KESSLER.



Science administrative et droit administratif
 

En France, pendant longtemps, la vision des phénomènes administratifs a été essentiellement juridique, pour la simple raison que le droit occupe une place importante dans le fonctionnement de l'administration. Il faut reconnaître que l'approche juridique est la meilleure pour comprendre certains phénomènes comme le contrôle de l'administration ou même la décentralisation. Le droit donne une meilleure connaissance des institutions et offre un appareil méthodologique qui facilite la conceptualisation.

Mais le droit lui-même peut être l'objet de la science administrative. Ainsi, dans le domaine du contentieux, on peut, en dehors de l'angle purement juridique, étudier les types de recours, les matières sur lesquelles ils portent, les types de requérants (situation sociale, profession, localisation géographique, administrations mises en cause, durée des litiges, efficacité des décisions, etc.). En matière de marchés publics, J.-J. LAFFONT & J. TIROLE ont développé une très intéressante théorie des incitations. Bref, contrairement à ce que pensent les chercheurs en S.A. aux États-Unis, on ne peut comprendre l'administration en ignorant le droit qui la régit.



Science administrative et sciences humaines
 

La compréhension des phénomènes administratifs nécessite la référence à de nombreuses sciences humaines, comme l'économie, l'ethnologie, la démographie, la linguistique, l'histoire, etc. Sans oublier la philosophie qui permet de s'interroger sur les finalités de l'administration, sur la nature de son activité et sur son rôle dans les processus sociaux.

Toutefois, les sciences humaines qui ont le plus apporté à la S.A. sont la sociologie, qui permet à la fois d'étudier la réalité sociale dans sa globalité, et la psychosociologie [encore appelée psychologie sociale] qui permet d'analyser les groupes plus restreints.

L'approche sociologique permet, en effet, de mieux connaître le milieu administratif, c'est-à-dire les agents publics (nombre, âge, sexe, origine sociale, etc.). La psychosociologie, ou psychologie sociale, permet de mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement de l'administration : les relations hiérarchiques, les réseaux de communication, les rivalités, la solidarité ... mais aussi les attitudes et les comportements des agents de l'administration, l'autorité, l'esprit de corps, la motivation ... Elle ambitionne enfin de donner une explication idéologique de l'administration, c'est-à-dire de préciser la place et le rôle de l'administration dans la société.

Certains auteurs tels P. LEGENDRE et L. SFEZ, et avant eux W. REICH (Psychologie de masse du fascisme), ont même utilisé la psychanalyse, ou plutôt les concepts psychanalytiques, pour leurs études.



Le courant sociologique
 

Ce sont les sociologues qui ont le plus étudié le milieu administratif – cf. le Centre de sociologie des organisations. Leurs recherches visent à découvrir et à analyser un certain nombre de comportements administratifs individuels ou collectifs. L'ouvrage le plus célèbre est celui de Michel CROZIER – Le phénomène bureaucratique, 1963 – dont la méthodologie est exemplaire, même si les deux administrations choisies (un centre de chèques postaux et une usine du S.E.I.T.A.) restreignent la portée de l'enquête. M. CROZIER fut le chef de file de toute une lignée de chercheurs utilisant la théorie de l'analyse stratégiques.

D'autres auteurs ont essayé de connaître l'administration à travers les jugements qui ont été portés sur elle. Un des premiers ouvrages fut celui de P. SOUDET, L'administration vue par les siens et par d'autres, 1960.

[...]

Le courant sociologique français étudie principalement deux phénomènes :
 

 

1°) dans le sillage de CROZIER, celui de la résistance au changement (en particulier quels sont les moyens utilisés pr l'administration pour neutraliser les réformes ou les détourner de leurs objectifs) ;

2°) le phénomène de corps, c'est-à-dire le comportement des services ou corps administratifs, des groupes (énarques, polytechniciens, ingénieurs des eaux et forêts, etc.) pour s'emparer du pouvoir de décision au sein des administrations.
 

 

La sociologie clinique est une approche de l'inconscient des organisations. Elle permet de révéler ces dimensions cachées que sont les investissements affectifs, les mythes, les interdits, les névroses collectives, les conflits psychiques qui règlent ou dérèglent la vie des groupes.

 

 

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K
J'ai Découvert Beaucoup D Choses Dans Ce Blog Ki Me Permettra De Compléter Ce Que Ns Avons Vu En Class Ds Cette Matière. Je Reste Curieux De Voir Les Autres Fiches De M. Payre. Je Vs Remercie D'avance.
Répondre
A
Bonjour et merci infiniment pour votre mot - hélas il n'y a pas d'autres fiches, elles ont été perdues et le site a lui-aussi disparu, fermé par son auteur une fois parvenu à la retraite, ce qui est fort dommage tant ce qu'il proposait était vraiment passionnant.